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Le ciel était tout sourire ce jour-là, des stries de lumière dorée labouraient le lac Léman qui rendait grâce à son tour au ciel en lui renvoyant des pastilles de lumièreLSU Football Jersey cowboys jersey NFL College Jerseys College Rugby Jersey nfl jersey shop best male sex toys boost 350 shoes nike air max sale outlet OSU Jerseys best soccer jerseys College Rugby Jersey wigs for sale LSU Football Jersey ASU Jerseys nike nba miami heat s étincelantes. Le bruissement des arbres faisait rempart à la rumeur discrète de la ville. Tout baignait dans l’harmonie des sons et des lumières dans ce jardin fleuri qu’était la Suisse en ce mois d’Août de l’an 2002.

Tapi dans un coin sombre des méandres de l’EPFL, l’École des ingénieurs de Lausanne, j’étais à mille lieues de goûter à ces saveurs. J’étais affalé sur un banc froid, en train de tapoter nerveusement avec mon pied sur le sol, sans même m’en rendre compte. Mon jean frôlait le banc avec la régularité d’un métronome en émettant un son disgracieux, celui d’un tissu qu’on froisse. Une main autre que la mienne se posa sur ma jambe et la fit taire. J’ai vu en balayant les alentours que bien des yeux agacés étaient posés sur moi. Celles de mes camarades étudiants qui attendaient leur tour comme moi. Je ne m’étais pas rendu compte de l’ampleur de mes convulsions, j’étais nerveux au point de la syncope. Alfonso, le propriétaire de ladite main, me fixa un temps ce qui me fit me ressaisir, puis il me dit avec sa détermination latine habituelle :

    – Hombre, Ki né sait rien né craint rien.

Crise de fou rire. Alfo était un philosophe méjugé, qui alternait le formules de génie et les fautes de syntaxe. Il était mon camarade de classe, celui des 400 coups (voire plus) et celui des temps durs comme celui-ci. Depuis une heure, nous marinions, nous attendions notre tour pour passer cet examen oral décisif que nous avions retardé pour la session d’été, pour « mieux réviser ». Et nous avions révisé… que dalle, ou alors juste un peu. Car en plus d’être faciles à distraire, c’était l’été en Suisse : la période des festivals, des barbecues, du Montreux jazz festival, la fête de Lausanne, la fête de Genève, la street parade de Zürich, etc.

Comment voulez-vous que l’on révise dans un jardin où les fleurs sont en train d’éclore, où les festivals bourgeonnent et où des nymphes parfumées parsèment les rues piétonnes Helvétiques sous nos regards salivants ?

Comment voulez-vous que l’on révise quand on lit sur l’afficheur de son Nokia 8810 : « On va faire un barbecue au bord du lac avec des copines de l’université de Stockholm, tu viens? »,  « On a un ticket en plus pour le concert de B.B King pour Montreux, ça te dis ?». Qu’est-ce que tu veux réviser ? sérieusement !

Nous étions des étudiants, certes, mais nous demeurions humains, faits de chair, de sang et d’hormones.

Seulement voilà, je n’avais pas droit à l’échec à cet examen, sous peine de plier bagage, direction la maison. En plus, il s’agissait de la matière la plus dure de ma carrière d’étudiant nonchalant. La matière s’intitulait : « Analyse du comportement non linéaire des structures par la méthode des éléments finis », rien que le nom faisait mal aux oreilles. C’était une matière à base de maths poussées, de physique théorique et de larmes réelles (les miennes). Il était impossible de tout savoir sur cette matière tant elle était tentaculaire, surtout pour un préparation sommaire comme la mienne. Autant dire que je ne savais rien, comme l’avait dit le philosophe Alfo. J’étais un combustible sur le point d’être incinéré. En plus je n’avais jamais mis les pieds aux cours, j’espérais que le prof n’étais point physionomiste sinon j’étais doublement cuit.

La porte de la salle s’ouvrit, et dans cet ordre, il en est sorti une sandale à scratch, une barbe broussailleuse suivie d’un buste bordé par des épaules avachies. Pas de doutes il s’agissait bien d’un chercheur. Ça devait être mon prof, un monsieur que je n’avais jamais vu. Il me fixa avec ses yeux bleus translucides et me dit avec un fort accent allemand  :

– Monsieur unmarocain.com ? Veuillez entrer, je suis Monsieur Hanz, votre enseignant, ravi de faire votre connaissance.

Le ton était cynique, le message était clair. Il allait me cuisiner à l’ammoniaque et me faire revenir à l’acide sulfurique.Tachycardie.

J’ai tiré ma question au sort comme il était d’usage de le faire. Bingo, c’était un chapitre que j’avais révisé la veille. « Écoute-moi bien, tu as dix minutes, étale tout ce que tu sais, mais vraiment tout ! Utilise des phrases longues, prend tout ton temps, ponctuation, silences, tout l’arsenal ! Prend un accent débile, ne lui laisse pas le temps de partir sur d’autres sujets, sinon t’es cuit, feins le hoquet s’il le faut ». Voilà ce que me disait une voix dans la tête, en Arabe.

Pendant que je préparais ma question, Urs, un camarade de classe Suisse Allemand à qui j’avais dit bonjour le premier jour et au revoir le jour de la remise des diplômes passait avant moi. On aurait dit qu’il avait attendu ce moment toute sa vie : en proie à l’émotion, il répondait à des questions qu’on ne lui avait pas posées, il parlait des équations différentielles et des matrices jacobiennes comme de ses meilleures amies, ensuite il rigolait tout seul à ses blagues. C’était sa nuit de noce scientifique.

Je pouvais presque voir le prof sourire de dos, d’avoir trouvé son fils spirituel. À moi, ils faisaient peur tous les deux. En tous cas, ce con de Urs avait mis la barre bien trop haut. Urs ramassa enfin ses affaires et partit, en haletant. Cet imbécile allait avoir au minimum la note maximale. Dieu te pardonne Urs, Dieu te pardonne d’avoir si bien étudié.

Mr. Hanz fit entrer l’étudiant qui allait passer après moi pour qu’il prépare sa question. C’était Amine, un compatriote bien plus sérieux que moi, un gars mesuré et parcimonieux. On pouvait l’apercevoir en début de soirée mais jamais au-delà.

– Monsieur c’est à vous.

‘’Alea jacta est’’. Les dés sont jetés.

Et le tango commença. Virtuose de l’approximation, j’essayais toujours de dire une chose et son contraire dans la même phrase sans que ça ait l’air suspect. Ça marchais très bien avec les matières à option comme les sciences humaines. J’essayais toujours de rebondir dans une direction ou l’autre, en fonction du mouvement de sourcils de l’examinateur. Cependant, cette matière n’offrait aucune latitude à l’esquive par le verbe, tant elle était désespérément scientifique. En plus, le professeur Hanz était de ceux qui étaient difficile à lire, il avait un poker face impénétrable. Curieusement, ça se passait plutôt bien. Même quand on faisait du hors-piste par rapport au cœur de la question je m’en tirais plutôt bien.  J’avais la baraka ce jour-là, malgré tout. Quand il me posa cette fameuse énième question, une question difficile, j’ai engagé toutes mes neurones dans le processus de lui répondre. Quand il m’a demandé :

– Qu’est-ce qu’on doit faire avec cette matrice ?

J’ai alors eu cette réponse que jamais je n’oublierai :

– On doit la pévotey.

– Oui, c’est bien ça, on doit la pivoter.

Amine, qui était toujours en train de préparer, s’esclaffa sourdement en entendant mon nouvel accent, j’avais activé son radar Marocain. Il croyait que je lui faisais un clin d’œil, alors qu’il n’en était rien. Mon accent vacillait pour de vrai. Quand Mr Hanz m’asséna une autre question, j’ai perdu toute emprise sur mes voyelles. Les ‘u‘ sont devenus des ‘i’, les ‘on’ sont devenus des ‘ou‘ et les ‘r‘, je les ai désormais roulés. La suite de mon exposé fut une guerre ouverte aux voyelles. Je m’entendais dire « elle é défécél d’istimi avic pricisiou lou noumbre di poussibeliti son dispousi di tout li paramitre adikwa ». Amine pleurait de rire, j’ai détourné mon regard de lui, l’heure était à mille lieues des complicités, aussi brève fussent-elles. Je jouais là mon année, possiblement mon avenir.

Le fusible qui maintenait jusque-là mon accent à un seuil inaudible était tombé en panne. Je me retrouvais avec un accent Marocain sans maquillage et sans édulcorant. Le plus troublant, c’est que de toute ma carrière de Marocain, je n’avais jamais eu à déplorer d’accent. Pire encore, je ne manquais jamais une occasion pour railler mes compatriotes qui en avaient un. Quand leur accent était ratatiné, quand leurs voyelles étaient approximatives ou leurs expressions revisitées, je ne les loupais pas. Me voici flanqué d’un accent agricole au pire moment de ma nouvelle vie d’adulte. Le Karma est un (gros) salopard.

Côté examen, ma note n’en a pas pâti, le prof ayant lui-même un accent Allemand fort prononcé, peut-être pire que le mien au regard des siens, je m’en suis donc sorti avec un résultat plutôt honorable. J’ai cependant appris plus sur moi-même ce jour-là que sur la matière que je devais passer.

Ce jour-là j’ai compris que ma langue natale était bien l’arabe, que la langue Française, bien qu’apprise sur le tôt, nécessitait un effort (bien que minime) pour sa juste diction.

Ce jour-là que je me suis (re)découvert une famille. Celle de ceux qui disent « stoplé », « lisse tombi », « attancio » et qui avaient toujours été mes frères et soeurs dans la voyelle, ceux-là même que je raillais, et que je continuerai à railler (car quand on aime bien…).

Ce jour-là, j’ai vu que dans un moment de stress ultime, où tombent les façades et s’effritent les barricades, je n’ai pu faire usage que des syllabes de mes ancêtres, et ça, c’est plutôt rassurant.